J-22
Un
préambule en chansons éveille mes cordes vocales.
Cette
matinée a bien commencé. Jusqu’à l’appel de cette jeune femme
qui travaille pour une agence d’intérim. Avide d'échanger sur mon
parcours professionnel, elle lance une série de questions à
laquelle je dois répondre avec enthousiasme et motivation.
Ces
agences se ressemblent toutes. L'approche est toujours la même.
Elles questionnent votre passé votre présent votre futur, elles ont
rarement un «vrai»poste à vous confier, car elles ont des
candidats à profusion, et surtout elles ont d’autres idées en
tête comme obtenir le contact de vos anciens employeurs qu'elles
font passer pour du référencement...
Pourtant
avec cette agence rien ne va se passer comme avec les autres...
Au
premier abord, rien de différent, elle s'intéresse à mon
histoire...un classique!
Elle
demande si je possède une expérience récente dans le domaine
commercial.
Naturellement
je lui réponds que mon expérience est multiple, qu'effectivement
j'ai exercé un poste dans ce domaine, en lui énumérant la date de
début et la date de fin de la mission concernée.
«Mademoiselle,
tout est noté sur mon CV» ai-je envie de répondre...
Je
lui récite mon texte. A-t-elle pris le temps de lire le document
officiel?
Soudain
j'entends son changement d'intonation, sa voix calme du début
devient plus grave. Elle dit :« ça
fait trop longtemps que vous n’avez pas travaillé dans ce
domaine! Je cherche une expérience récente de plusieurs
années.»
Les
paroles de cette femme trouvent écho à une rage naissante. Lorsque
l'impétueuse termine sa phrase, la porte de cette rage explose
littéralement à l'image d'une éruption volcanique avec une épaisse
fumée noire.
Incontrôlable,
elle se répand avec force et violence. Voici la phrase qui déclenche
le chaos: «Faites attention dorénavant lorsque vous répondez à
une de nos offres! On s’efforce d’inscrire le plus de détails
possibles, donc lisez mieux la prochaine fois!»
Tous
ces mois de recherches, le désert comme vision d'avenir, et voilà
qu'une gamine sortie de nulle part, jette mon courage et mes efforts
en papiers froissés dans la poubelle de son bureau…Saccage un peu
plus mes espoirs...Avant d'appeler, n'aurait-elle pas dû parcourir
les lignes de mon CV?
Toutes
mes expériences possèdent des dates de début et de fin...
Je
me serai tout à fait accommodée d'une réponse négative
écrite, même sans motif! Je m'en serai contentée, par habitude.
Cette phrase sonne la fin d'une conversation qui prend des tournures
moins légères. Elle n'aurait jamais dû prononcer les derniers
mots.
La
cage s'est ouverte, les mots sont sortis les uns après les autres
sans phrase vraiment construite et surtout sans virgule.
Je
ne veux pas qu'elle m'interrompt, j'insulte son toupet, ses remarques
avilissantes, son manque de tact ; je grogne, m'énerve contre elle.
Je
lui ordonne d'exercer son métier avec plus de délicatesse...
Bref
j’enrage...J'imagine cette donzelle qui, bien au chaud devant son
PC mâchant un chewing-gum en se tortillant les cheveux, attrape ses
futures proies à coup d'appels téléphoniques, en les insultant de
son ton condescendant.
Je
crie :«Ne me faites pas perdre de temps, surtout pour proférer des
remarques qui excluent…» « Les compétences recherchées sont à
ma portée. Il n'y a rien d'extraordinaire et de compliqué sur un
poste comme celui-ci. Rien que je ne puisse apprendre, sauf si ce
poste demande d'autres compétences qui ne sont pas décrites pour
payer moins le futur salarié.»
Aujourd’hui
j'ai hurlé. Avant de raccrocher j'insiste que son métier ne doit
pas consister à dire «toi oui, toi non» aussi vulgairement qu'à
l’entrée d’une boîte car il s’agit là de maintenir une
existence…
Cela
fait longtemps que je ne me suis pas imposée, j'en ressens une
grande satisfaction. Il faut combattre.
Dans
certains secteurs, tout le monde sait que les candidats sont plus
nombreux que les employeurs. Ces employés d'agence d'intérim
doivent justifier leurs heures de travail pour sauvegarder leur
bureau chauffé l'hiver, climatisé l'été.
Alors,
certains se permettent de brutaliser les Emplologues par des
remarques autoritaires et avilissantes.
Je
repense à ce que disaient certains anciens : «Il n’y a pas de sot
métier, il n'y a que des sottes gens », dorénavant j’ai une
certitude : «Il n’y a pas de sot métier, mais des métiers
d’emmerdeurs occupés pas des sottes gens!» Cette nana en a
développé toutes les compétences...