Avant toute cette malheureuse histoire,
j’habitais dans un joli appartement au centre ville. Avec mon épouse, j’avais
acheté un trois pièces au premier étage, quand les prix étaient encore
abordables aux ménages les plus modestes. Avant, j’avais été
conducteur de trains et ma femme, employée au service administratif d’une
entreprise de textile. Nous étions heureux, malgré l’absence d’enfants que nous
n’avions pas eu la chance d’avoir, à cause de ma stérilité. A la mort de ma
femme, ma nièce que je considérais comme ma fille me proposa d’habiter avec sa
famille, à l’étranger « Tu verras, tu te sentiras bien avec nous »,
avait-elle insisté. Je ne sais pas ce qui me poussa à refuser, un mélange de
peurs accumulées, peur de l’inconnu, peur de perdre mes repères, ou ces
nombreux souvenirs que j’avais accumulés au fil des ans. Quoi qu’il advienne,
j’avais décidé de continuer mon existence là où je l’avais construite.
Contrairement à ce que certains pouvaient penser, la solitude ne m’atteignait
pas mais inconsciemment, je devais la projeter sur les autres comme un mal
être. Car j’ai beau chercher le moment où tout a basculé, je n’arrive pas à
comprendre comment toutes ces histoires ont pu tourner aussi tragiquement.
Chaque jour, j’avais un tas de loisirs différents qui remplissaient mes
journées agréablement sans voir le temps passer. J’adorais construire des
maquettes de trains, j’aimais aussi sortir pêcher avec mon fidèle ami les
après-midi.
Depuis peu, je faisais des balades avec Brigitte que j’avais rencontrée grâce à une annonce dans un journal local. Il aurait été peut-être question un jour, d’emménager ensemble, si je n’avais pas eu toutes ses peines accumulées qui provoquèrent ma chute. Les responsables, ce sont mes voisins qui s’installèrent un mois d’été, sans que je n’y prête guère d’attention.
Depuis peu, je faisais des balades avec Brigitte que j’avais rencontrée grâce à une annonce dans un journal local. Il aurait été peut-être question un jour, d’emménager ensemble, si je n’avais pas eu toutes ses peines accumulées qui provoquèrent ma chute. Les responsables, ce sont mes voisins qui s’installèrent un mois d’été, sans que je n’y prête guère d’attention.
Pourtant, dès les premiers jours, ils
projetèrent sur moi une sorte de haine ou de mépris, je ne sais pas ce que je
leur renvoyais précisément, pour que cette violence jaillisse si
brusquement ? Je m’en veux presque maintenant de n’avoir rien dit, ni même
de ne pas avoir su me défendre correctement…
Je crois que je leur inspirais une sorte de
fragilité, une faiblesse dont ils abusèrent sans ménagement en me cherchant des
noises, en me bousculant, en me dérangeant, en faisant du bruit certains soirs
de semaine et de week-end et bien d'autres évènements encore qui me font
atterrir malgré moi, aujourd’hui dans cet endroit. Comment cette histoire
avait-elle débuté ? Un jour, ils m’avaient lancé une phrase insensée
parmi d’autres, qui aurait peut-être pu m’éclairer quant à leurs futures
intentions : « tu dois avoir un truc qui ne tourne pas rond chez toi,
ce n’est pas normal de vivre seul, mon vieux ».
Evidemment, cette remarque que je trouvais
idiote comme toutes les autres ne m’atteignait guère, car je continuais à faire
comme s’ils n’existaient pas, ça devait certainement les agacer, mon
indifférence feinte en permanence. Mais je ne voulais pas m’introduire dans
leur colère. Je n’en avais d’ailleurs jamais parlé à ma nièce. Je m’entêtais à
garder le silence. Oui, le silence, il me semblait que c’était l’arme la plus
efficace face à la tyrannie. L’ambiance était devenue pourtant exécrable.
J’évitais de sortir en même temps qu’eux, je me cachais quand je les
voyais dans la rue, je changeais de trottoir, je me faisais discret. Je devais
croire que tout finirait par s’arranger. J’avais foi en
l’humanité, l’humain finit toujours par choisir la raison et
l’intelligence, je me répétais inlassablement comme une prière « ils
finiront bien par partir », surtout lorsque certains soirs, leurs
cris envahissaient l’espace intime de ma chambre. Hélas rien ne s’arrangea, un
an passa et c’était bien mal connaître la nature humaine et sa fascination
presque aussi grande d’admirer la réussite d’un homme que celle de le voir
sombrer. Ma vie devenait enfer. Mes voisins étaient de petites vermines
que personne ne souhaitait d’ailleurs approcher, ni même contrarier. Pour
couronner le tout, leurs mioches qui faisaient des blagues débiles sous l’œil
complice de leurs parents…
Un jour, excédé par le comportement d’un des
gamins, ma patience m’échappa. Tous ces moments de retenues forcèrent
l’énergie que je mis dans ma main au moment où elle se posa sur le visage
grassouillet du jeune. Le rouge sur son visage aux yeux ébahis marqua le début
de ma défaite. Instantanément je m’en voulais, d’avoir projeté ma colère sur un
de ces enfants alors que les seuls responsables étaient les parents qu’il
aurait fallu d’abord corriger. J’avais l’impression d’être lâche. J’avais même
un peu honte, mais je n’eus pas le temps de regretter, car à cet instant
précis, mon calvaire prit des proportions inimaginables. Ils portèrent plainte,
et ils continuèrent à projeter sur moi leur haine de plus en plus fréquemment,
elle allait même prendre une intensité que je n’avais pas prévue.
J’avais commencé à en parler aux habitants de
l’immeuble pour obtenir un peu de soutien, mais à mon grand désespoir, tout le
monde se réfugiait dans le silence, un silence complice, un silence
d’indifférence, un silence qui m’enfermait davantage dans ma solitude. J’étais
seul à les combattre, et je crois pouvoir affirmer maintenant que le combat
était déjà perdu d’avance.
Leur haine augmenta, ils ne me lâchèrent
plus, j’étais devenu une cible dont le sort était de succomber sous leurs
coups.
Six mois. Période pendant laquelle je me
cramponnais avec acharnement à l’espoir que tout se termine et qu’ils s’en
aillent. Six mois, ça passe vite, et pourtant pour moi ça m’a paru une
éternité. J’étais, je l’avoue, sur les nerfs, je devais gérer mes tensions, je
n’avais pas envie de me laisser faire, et pour la première fois, durant cette
période de six mois, je commençais à répliquer, à rebeller, à me
défendre. J’avais l’impression de devenir fou.
Au moment où l’idée de vendre mon appartement
surgissait, c’était trop tard, le deuxième incident à l’encontre d’un des
enfants me condamna. Le jour où l’aîné dévala les quelques marches du hall
d’entrée, c’était en effet de ma faute, excédé par son insolence, ses
remarques, cette façon qu’il avait de me bousculer, je l’ai poussé violemment
sans même faire attention aux marches qui étaient à côté, et qui lui ont valu
d’aller faire un bref séjour à l’hôpital pour revenir avec une cheville
dans le plâtre tandis que pendant quelques jours, je fus interné, gavé de
médicaments, et surtout on me posa des questions auxquelles je ne trouvais pas
de réponses suffisamment convaincantes. Le diagnostic accompagna ainsi ma
chute, un diagnostic de quelques lignes auquel je comprenais que l’enfer allait
se poursuivre ailleurs. Et lorsqu’ils prononcèrent à l’unanimité cette phrase
« il faut le placer dans un établissement médicalisé pour personnes âgées
qui l’aidera à mieux vivre sa maladie » tout, autour de moi, s’écroula
comme un château de cartes. Ma seule véritable maladie, et je le pense ainsi
sincèrement, celle qui me fait aujourd’hui poser mes valises dans
cette chambre impersonnelle, est la volonté de ces êtres viles, ces gens
qui se sont acharnés de façon insensée à m’ôter ma liberté !
J’étais viré de chez moi comme un délinquant.
Cette décision que je considérais injuste provoqua une douleur incommensurable
dans laquelle je m’étais enfermé sans pouvoir réagir. Au moment du verdict,
devant les médecins, c’est en homme abattu que j’apparaissais. Toute une
vie à marner pour finir dans un lieu que je n’avais pas choisi semblait être la
plus sévère des punitions que j’eus à connaître dans mon existence. Mon
appartement serait vendu pour payer les loyers de cette nouvelle demeure. Avant
de m’y conduire, je fus autorisé à rentrer chez moi, une dernière fois, pour
rassembler quelques effets personnels. J’étais accompagné d’un tuteur qui
ne me lâchait plus d’une semelle. Il y avait de quoi avoir les nerfs. Je ne
maîtrisais plus rien, ma vie ne m’appartenait plus !
Cependant en rangeant mes affaires, je
songeai immédiatement à mon pactole et à mon passeport dissimulés sous mon
matelas que je pris soin de ranger discrètement dans mes valises lorsque le
tuteur avait le dos tourné. Je pris aussi le carnet d’adresses sur lequel
le numéro de ma nièce était inscrit. Je devais la contacter dès que
possible. Il n’y avait qu’elle dorénavant pour me sauver de ce naufrage.
C’était mon seul lien avec l’extérieur, mon seul espoir, ma raison de vivre et
de me battre. Car je voyais déjà les choses ainsi que mon passage dans cet
établissement ne serait que provisoire.
C’est à ce fol espoir que je m’accrochais lorsque je rentrai la première fois dans cette résidence. Le moral plombé, certes, le désespoir inscrit sur mon visage amaigri, aux traits fatigués par des nuits d’insomnie et par la prise de médicaments. Les bruits nouveaux et inhabituels que j’entendis ce jour-là provoquèrent instantanément des tremblements irréguliers dans ma main droite, mes jambes ne semblaient plus me porter. Tout mon corps émettait d’étranges vibrations. D’ailleurs, lorsque j’entrai dans cette grande pièce aux lumières artificielles où certains résidents me fixaient avec un air terrifiant, j’avais failli chavirer. Dorénavant, j’avais une seule obsession : m’enfuir !
En voyant s’approcher lentement ce vieillard
à l’allure incertaine dans la salle commune, les J.J. ne pensaient pas un seul
instant, qu’elles posaient leur regard sur celui qui allait bousculer la
tranquillité du groupe et de la résidence...
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